Politique de durabilité à Lausanne : pourquoi adopter l'approche du « Donut urbain » ?
Posté le 17 juil. 2023Auteur·e·s
Aïcha Besser
Responsable Communication
CLIMACT
Expert·e·s
Dr. Mohamed Srir
FGSE, UNIL
La municipalité de Lausanne s'engage dans des politiques de durabilité pour réduire les émissions de carbone d'ici 2035 et 2050 à travers des mesures d'atténuation et d'adaptation. Cependant, la mise en œuvre de ces actions dépend de la gouvernance et de la coordination. L'objectif est de créer un avenir plus écologique et socialement équitable pour Lausanne et ses habitant·e·s.
Le projet dont traite cet article vise à analyser les processus de mise en œuvre du Plan climat. En développant un système d'indicateurs basé sur le concept de « vivre bien dans les limites », il est possible de mieux comprendre les liens entre les systèmes écologiques et le développement social, en tenant compte des spécificités urbaines de la ville. Cette évaluation aidera les décideur·euse·s à envisager une vision holistique de la prospérité dans un espace sûr et juste, en alignement avec les priorités de la Théorie du donut.
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Qu'est-ce que le concept du « Donut urbain » ?
Mohamed Srir : La théorie du donut, développée par K. Raworth (2018), définit un cadre de durabilité qui combine le concept des limites planétaires avec la notion de fondement social. Ce cadre représente un espace sûr et juste où l'utilisation des ressources est suffisamment élevée pour répondre aux besoins fondamentaux des personnes (cercle intérieur), mais pas assez pour transgresser les limites planétaires (cercle extérieur).
Huit limites planétaires (actualisées par Rockström et al., 2023) constituant le plafond écologique du donut sont identifiés : le climat, l'intégrité fonctionnelle des écosystèmes (ex. « biodiversité »), le cycle de l'azote, le cycle du phosphore, l'eau douce souterraine, l'eau douce de surface, la surface occupée par les écosystèmes naturels (ex. « changements d'usage des sols »), les aérosols (ex. « pollution atmosphérique »). Il existe des seuils de pression que ces systèmes vitaux peuvent supporter et dont l'humanité ne devrait pas dépasser afin de préserver l’équilibre de la biosphère et les conditions favorables de la vie.
Le fondement social qui s’aligne sur les objectifs sociaux de développement durable (ODD) des Nations Unies définit le niveau minimum des besoins fondamentaux auquel chaque être humain peut prétendre. K. Raworth en identifie 11 : énergie, eau, santé, éducation, revenu, paix et justice, voix politique, équité sociale, égalité des sexes, logement et réseaux.
L’idée du donut est de ramener les impacts des activités humaines à l’intérieur de cet espace écologiquement sûr et socialement juste dans lequel l'humanité peut s'épanouir sans compromettre les capacités de charge des écosystèmes naturels.
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Quelles sont les initiatives spécifiques en matière d'urbanisme qui ont été mises en œuvre à Lausanne dans le cadre du concept du « Donut urbain » ?
Mohamed Srir : Lausanne a une vision climatique très ambitieuse et son Plan climat a été élaboré autour de cet objectif central de ramener à zéro les émissions carboniques directes à l’horizon 2050, tout en affichant le slogan d’une ville 100% solidaire. Cette vision est déclinée en quatre objectifs prioritaires :
- Pour la mobilité, la ville envisage d’interdire les véhicules thermiques dès 2030 sur sol lausannois.
- Pour la chaleur, le développement du chauffage à distance CAD devrait couvrir 75% des ménages avec une énergie 100% renouvelable en 2050.
- Pour les bâtiments, un taux de 3.3%/an a été fixé pour la rénovation du parc immobilier à entreprendre sur les 30 prochaines années, ce qui permettrait une baisse de 60% des émissions des bâtiments à terme.
- En parallèle, la ville définit un objectif canopée qui vise une augmentation de 50% de la surface foliaire d’ici 2040.
Quel sont les défis ?
Mohamed Srir : Si l'objectif de la ville de Lausanne est d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, le défi pour y parvenir reste lié aux modalités opérationnelles de cette stratégie.
Concrétiser les mesures du Plan climat nécessite d’avancer conjointement sur les deux volets des binômes : décarbonation/solidarité, atténuation/adaptation et local/global.
En effet, il est important de prendre en compte les impacts socio-économiques qui peuvent découler des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans différents secteurs et notamment dans l’assainissement des bâtiments qui peut provoquer une augmentation de loyers. En termes de démarche de transformation, l’atténuation va de pair avec l’adaptation du moment que les actions de la première visent à équilibrer le bilan carbone à long terme alors que celles de la seconde permettent d’agir, ici et maintenant, sur les impacts urbains du changement climatique.
Cette approche doit également associer les réponses aux enjeux qui concernent le territoire lausannois à ceux présents aux niveaux régional et mondial. Une manière de concrétiser cette vision est de regarder une perspective du donut des villes qui peut aider à mieux appréhender ces enjeux dans le cadre de la transition comme réponse aux changements globaux.
Comment se situe la ville de Lausanne dans ce processus?
Mohamed Srir : La situation actuelle de Lausanne montre un taux assez faible d’effectivité des principaux objectifs annoncés. Ces derniers avancent avec une cadence en deçà de ce qui est attendu pour respecter l’Accord de Paris (ne pas dépasser +1.5° C). Même si le Plan climat est assez récent (entrée en vigueur en janvier 2021), le cumul d’expériences de la ville en termes d’approches de durabilité lui impose une certaine responsabilité, vis-à-vis aussi de son triple statut de grande ville Suisse, de capitale vaudoise et de ville verte.
Alors qu’au niveau mondial, sept des huit limites planétaires étudiées par Rockström et al. (2023) ont déjà été dépassées, Lausanne, à l’image de la Suisse, participe à la transgression de cinq de ces limites (émissions de CO2, perte de biodiversité, empreinte matérielle, perte d’azote et de phosphore).
Les émissions totales des activités de la ville sont de l’ordre de 14 tonnes équivalent CO2 par habitant ce qui dépasse largement les normes scientifiques et les trois premiers postes responsables sont respectivement : la consommation avec plus de la moitié des émissions, puis les transports et les bâtiments.
Quels sont les efforts qui peuvent être faits au niveau local ?
Mohamed Srir : Au niveau local, les efforts à faire concernent plusieurs domaines où les insuffisances sont les plus marquées : énergie renouvelable, rénovation et sobriété énergétiques, mobilité durable, pollution atmosphérique, captation carbone et adaptation des espaces publics au réchauffement climatique. La ville doit emprunter une trajectoire beaucoup plus engagée et davantage axée sur l’implication des parties prenantes dans un processus d’optimisation et d’évaluation des progrès.
Les défis qui sont a priori de nature écologique sont aussi centrés sur des enjeux sociaux et appellent donc à une vision plus holistique des problématiques.
Ce qui nécessite d’adopter une approche systémique et participative dans la recherche des solutions qui ne sont plus uniquement techniques, mais davantage liées aux modes de consommation et de production ainsi qu’aux changements de comportements.
Enfin, la concrétisation d’une telle vision demeure tributaire des conditions-cadre nécessaires à l’exploitation du potentiel existant et que les politiques publiques doivent, dans une démarche de cohérence, mettre en place en collaboration avec tous les secteurs de la ville. Il s’agirait donc de développer les nombreux leviers d’action dont dispose la ville.
Avez-vous des exemples ?
Mohamed Srir : En voici quelques-uns :
- La stratégie climatique adoptée par la municipalité exprime, dans la continuité des démarches de durabilité, une forte volonté politique de mener une transition écologique. Elle gagnerait à être davantage inscrite dans un cadre collaboratif, évolutif et évaluatif.
- Le Plan climat définit des mesures d’atténuation et d’adaptation pour l’ensemble des domaines de la ville qu’il conviendrait de spatialiser et de croiser avec des mesures sociales.
- Lausanne dispose d’une structure locale dédiée à la promotion des énergies renouvelables (SIREN en collaboration avec les Services industriels de la ville SIL) qui doit augmenter la production d’énergie et diversifier les investissements et les collaborations pour améliorer le rendement des installations.
- Les transports collectifs et la mobilité active sont en progression, mais la circulation des véhicules thermiques reste importante.
- La ville travaille sur un projet d’extension du réseau de chauffage à distance qui présente le défi de sa décarbonation.
- La ville dispose d’un important potentiel de développement de l’énergie solaire à coupler avec la rénovation énergétique qui doit tripler de cadence. Comme il est important d’avancer sur le volet de la sobriété au même temps que la sécurisation des approvisionnements.
- Les différentes configurations des espaces urbains présentent un potentiel différencié d’augmentation de la surface foliaire qui nécessite des investissements publics plus conséquents et des actions incitatives.
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Comment le concept du « Donut urbain » contribue-t-il à la création d'un environnement urbain plus durable et plus vivable à Lausanne spécifiquement ?
Mohamed Srir : Le donut offre une perspective globale de ce que signifie la durabilité pour la ville et pour ses habitants. Il invite à se pencher sur les dynamiques qui sous-tendent le croisement des enjeux environnementaux et sociaux et vise de cette manière à ouvrir des discussions sur les voies de transformation possibles. Son approche globale convoque une réflexion sur les impacts des activités de la ville au-delà de ses limites locales. Appliqué à la ville, le donut urbain permet donc d'explorer et d'adopter la vision d'une ville prospère tout en reconnaissant sa responsabilité mondiale.
Quel est l'intérêt pour Lausanne d'adopter ce type de modèles ?
Mohamed Srir : Il est double :
- Recentrer les objectifs de la politique climatique sur les questions de transition écologique et d’épanouissement social dans une vision de responsabilité globale. Cela permettrait d’engager le débat et d’associer les habitants dans la définition des objectifs spécifiques de ce que cela signifierait pour la ville de réaliser ses aspirations locales, tout en respectant les attentes et les besoins des autres habitants de la planète et la santé de celle-ci. Le donut est un outil d’aide à la décision. Il donne un aperçu général de la situation en termes de dépassements / insuffisances et permet d’impliquer les parties prenantes autour des cibles qui les concernent et nécessitent leur engagement.
- Considérer une approche holistique et intersectorielle dans la prise de décision à l’échelle de la ville. Il s’agit de créer un cadre pour le suivi des progrès réalisés et l'élaboration des politiques d’action qui en découlent. Les indicateurs du donut, associés à leurs cibles scientifiques, peuvent être utilisés, d’un côté, pour orienter les politiques envisagées dans chacun des objectifs climatiques de la ville, et pour réfléchir aux implications possibles des initiatives et anticiper les impacts de l’autre côté.
Au sujet de l'auteur:
Mohamed Srir est chercheur postdoctoral à l’Institut de géographie et durabilité à l'Université de Lausanne.
Au sujet de CLIMACT :
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