Casse-tête de la durabilité.
Vous reprendrez bien un peu de guacamole à l’avocat (du Pérou) ? Ou êtes-vous plutôt burger (de viande suisse) ? 6 conseils pour faire les bons choix alimentaires.
Posté le 11 janv. 2024Auteur·e·s
Aïcha Besser
Responsable Communication
CLIMACT
Dr Nicolas Tetreault
Directeur exécutif
CLIMACT
Expert·e·s
Charlotte de la Baume
Co-fondatrice et gérante
Beelong SARL
Bruno Rossignol
Chef de service
Catering and Retail, EPFL
Christian Nils-Schwab
Directeur exécutif
Center for Nutrition and Food, EPFL
Vous vous trouvez au supermarché, face à un choix vertigineux de produits. Doute existentiel : faut-il opter pour des fraises bio, bien que hors saison et importées, ou privilégier des pommes locales non bio ? Doit-on investir dans du saumon sauvage et durable malgré son prix élevé ou choisir un poisson d'élevage moins onéreux dont l'origine est incertaine ? Opter pour un filet de bœuf à titre exceptionnel ou plutôt pour de la poitrine de poulet plusieurs fois par semaine ? Se tourner vers une alimentation européenne et de saison ou vers des produits locaux hors saison ?
Devant la complexité des choix alimentaires, les consommateur·rice·s se retrouvent vite confus·e·s. Explications.
Trilemme de l’alimentation et culture alimentaire
« Aujourd'hui, explique Christian Nils-Schwab, ancien directeur exécutif du Centre de nutrition et d’alimentation de l’EPFL, naviguer dans le paysage de nos décisions alimentaires est devenu une épreuve délicate. Que l'on se place du côté du consommateur ou du politicien, chaque choix semble être accompagné de l'ombre d’un doute : si ce n'est pas préjudiciable à notre santé, alors cela pourrait l'être pour l'environnement, le bien-être des animaux, ou encore notre budget. Cette complexité susceptible d'inciter certains à l'inaction et au désengagement, découle de ce que j'appellerais le trilemme de l'alimentation ».
Selon l’expert, lorsque l’on examine les dimensions économiques, écologiques et sociétales de nos décisions en matière d'agriculture et d'alimentation, il ressort fréquemment qu'elles entrent en conflit les unes avec les autres, ce qui rend presque impossible de maximiser chacun de ces aspects.
Aux yeux de Charlotte de La Baume, co-fondatrice et gérante de la start-up Beelong, au-delà de la difficulté du choix, un autre obstacle à l’alimentation durable réside dans l’idée courante selon laquelle cette dernière est coûteuse. « Bien sûr, cela peut être le cas si l'on envisage simplement de remplacer un régime alimentaire occidental moyen par un équivalent suisse et biologique. Cependant, en optant pour une réduction de la consommation de viande (connue pour son coût élevé), en évitant les produits transformés (souvent plus onéreux), et en privilégiant les produits de saison (généralement plus abordables), il est possible d'allouer les économies réalisées pour acheter davantage de produits locaux et biologiques. Pour moi, le véritable défi réside plutôt dans la dimension culturelle et les habitudes alimentaires établies. »
Alors, avocat du Pérou ou viande suisse ?
Comparé à d'autres produits végétaux, l'avocat affiche effectivement un impact environnemental plus important, principalement en raison de sa consommation élevée en eau dans des régions déjà arides et de production intensive. Il n’empêche qu’une entrecôte de bœuf européen émettra 165 fois plus de CO2, demandera 2,5 fois plus d’eau pour sa production et 18 fois plus de surfaces à poids égal. Le score d’une entrecôte sud-américaine et/ou nourrie au soja issu de la déforestation sera encore plus élevé. Même en comparaison avec une entrecôte suisse, la différence demeure significative. Ainsi, en toutes circonstances, l'alternative végétale demeurera systématiquement plus écologique.
Manger local ou de saison ?
Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la distance parcourue par un produit ne constitue qu’un facteur marginal dans son impact environnemental, sauf si celui-ci traverse un océan et est acheminé par avion.
On peut alors se questionner sur la définition du terme « local », car dans les faits, si l’on se concentre sur le critère du transport, le bilan d’un produit en provenance d’Europe n’est pas nécessairement beaucoup plus lourd que s’il provient de Suisse.
Prenons l’exemple de la tomate. Une tomate suisse cultivée hors saison, sous une serre chauffée aux énergies fossiles n’est de loin pas optimale d’un point de vue environnemental. Il est préférable dans ce cas d’acheter une tomate importée du sud de l’Europe. Dans un monde idéal, il faudrait donc consommer des légumes à la fois de saison ET « locaux » au sens « suisses » ou « européens ».
Soulignons néanmoins que cette logique s’applique principalement à la comparaison entre deux options végétales. Même en tenant compte du transport aérien de l'avocat, son empreinte carbone reste inférieure à celle de l'entrecôte suisse.
Ajoutons à présent à cela la réflexion sur le bio : si l’on reste dans les options végétales et qu’il faut choisir entre un produit biologique importé - qui a de réels avantages sur le plan environnemental - et un produit classique local, le bilan environnemental du transport fera tout de même pencher la balance vers le produit non biologique.
Alors pourquoi le bio ? L’agriculture biologique favorise la biodiversité et la santé des sols en évitant l'utilisation de produits chimiques synthétiques. Bien qu’elle offre peu d’avantages au niveau des émissions de gaz à effet de serre, elle contribue à la réduction de la pollution de l'eau et de l'air ainsi que de l'érosion des sols.
En termes d’émissions CO2, un repas contenant du boeuf équivaut à 4-5 repas végétariens (de 450 grammes par assiette, selon la provenance). Un repas végétarien correspond à autant d’émissions CO2 que pour produire 1,5 litres d’eau en bouteille ou parcourir 170 km en TGV ou 1,8 km en voiture. Un repas avec du boeuf correspond à autant d’émissions CO2 que pour fabriquer 8 litres d’eau en bouteille ou parcourir 848 km en TGV ou 9 km en voiture.
L’impact du transport
Aujourd’hui, toutes sortes d’aliments exotiques, tels que l’ananas du Ghana, le steak argentin et le vin australien, sont devenus des choix banaux et quotidiens.
La plupart des produits frais qui ont une durée de conservation limitée sont aujourd’hui envoyés vers les lieux de vente par avion. Le transport par avion a un impact beaucoup plus important que le transport par bateau ou par train. Pour preuve, en avion, le rejet en CO2 pour 1 kg d’ananas du Ghana correspond à 5 kg alors que par bateau, le même ananas engendre environ 50 g d’émissions de CO2, soit 100 fois moins.
Pour mesurer l’ampleur des produits transportés, voici quelques exemples de volumes d’aliments qui arrivent sur le marché belge : 100’000 ananas et 80 tonnes de fraises et de raisins blancs par semaine et jusqu’à 10 tonnes de feuilles de menthe et 10 tonnes de cabillaud par jour !
Trois éléments sont intéressants à relever : certes les vols courts produisent relativement plus de CO2 par km que les vols plus longs, dû à la proportion d’émission au décollage. Mais, un vol transatlantique émettra toujours plus du fait du nombre important de km à parcourir. Donc même si la distance de transport reste un facteur important, c’est plutôt le type de transport qui reste déterminant dans le calcul de l’impact environnemental. Bien que la provenance des produits soit communiquée au consommateur, il vous sera pratiquement impossible aujourd’hui de connaître le type de transport utilisé et donc l’impact de vos choix.
Les crevettes sont récoltées à la côte belge, puis elles sont transportées au Maroc pour être nettoyées et reviennent ensuite en Belgique pour être vendues. Apparemment, quelques milliers de km de transport coûtent moins cher que la main d’œuvre en Belgique.
Ce tableau représente les émissions de gaz à effet de serre par unité de nourriture transportée. On peut y lire les gaz à effet de serre émis par le transport d'une tonne de denrées alimentaires sur une distance d'un kilomètre. Les émissions sont mesurées en kilogrammes d'équivalents de dioxyde de carbone (kg de CO2–eq.).
En conclusion, naviguer dans la complexité des choix alimentaires demeure une tâche ardue, même pour les plus avertis. C'est pourquoi nous concluons en vous offrant six astuces pratiques qui, nous l'espérons, vous guideront efficacement vers des choix alignés sur vos valeurs personnelles.
6 astuces pour faire les bons choix :
1. Végétal ou animal ? Quelles que soient les conditions de production d’un produit végétal, gardez en tête qu’il sera toujours plus intéressant qu’une alternative animale, même suisse. Une poitrine de poulet par exemple, engendre 28x plus de CO2 et nécessite 15x plus de terres qu’un avocat du Pérou, ceci notamment à cause de la culture du grain consommé par l’animal.
2. Quantité et qualité : Si vous optez pour un repas carné, vous pouvez diminuer son impact en optant pour une recette à base de bas morceaux plutôt que de vous limiter exclusivement aux morceaux nobles. Ayez aussi le réflexe de penser en termes de portions plus modestes. Vous pourriez par exemple opter pour des pâtes au ragoût plutôt que pour un steak-frites. Et quitte à choisir de la viande, autant privilégier des conditions de production les plus respectueuses possibles en favorisant notamment les labels (bio, IP-Suisse, labels régionaux, …), l’origine suisse et les programmes d’élevage extensifs (plein air, de montagne par ex.)
3. Distance : Limitez les produits provenant de régions éloignées et importés par avion à des plaisirs occasionnels, idéalement pas plus de deux fois par mois.
4. Local ou importé ? Si un produit suisse n’est pas disponible, optez pour sa version européenne. Le transport a un impact relativement faible s’il n’est pas effectué par avion. Par « local », entendez donc suisse ou européen.
5. De saison : Faites-vous plaisir avec des produits de saison ! L’empreinte écologique d’un kg de fraises ou de tomates suisses en saison est très faible!
6. Commerce de proximité : Limitez les distances que vous parcourez pour faire vos courses. En Belgique par exemple, un·e consommateur·rice parcourt en moyenne 2500 km par an pour aller faire ses courses, ce qui correspond à 400 kg de CO2.
7. Bio ou pas ? Si possible! Au regard unique des émissions CO2, il vaut mieux opter pour un produit local non bio qu’un produit bio importé. En revanche, le bio offre d’autres avantages environnementaux non négligeables. Mais quitte à acheter un produit exotique, autant privilégier le bio pour garantir des conditions de productions les plus respectueuses possibles de la planète.
Pour explorer davantage :
- Manger durable en 8 étapes clés
- Protéines animales: conseils pour une consommation plus durable
- You want to reduce the carbon footprint of your food? Focus on what you eat, not whether your food is local
- Quel rôle l’origine des aliments a-t-elle sur l’empreinte environnementale de nos assiettes ?
- Combien de kilomètres contient une assiette
Contributeur·rice·s
- Charlotte de La Baume, Co-fondatrice et gérante, Beelong SARL
- Bruno Rossignol, Chef de service, Restauration et commerces, EPFL
- Christian Nils-Schwab, ancien Directeur exécutif, Centre de nutrition et d’alimentation, EPFL
- Nicolas Tétreault, Directeur CLIMACT