Anticiper l’avenir climatique grâce à l’AI
13 scientifiques suisses et américains parviennent à rendre les algorithmes plus « robustes »
Posté le 6 févr. 2024Auteur·e·s
Aïcha Besser
Responsable Communication
CLIMACT
Expert·e·s
Les algorithmes d'apprentissage automatique, employés de manière croissante dans les applications climatiques, rencontrent aujourd’hui un problème majeur : leur difficulté à prédire correctement des conditions climatiques pour lesquelles ils ne sont pas entraînés, générant ainsi des incertitudes dans les projections.
Une équipe de chercheur·euse·s de l’Université de Lausanne et de plusieurs universités américaines, dévoilent à travers une étude publiée dans la revue « Science Advances », qu’en transformant les données soumises aux algorithmes à l’aide de principes de physique bien établis, ils parviennent à les rendre plus « robustes » pour résoudre des problématiques climatiques. Cette méthode a été testée avec succès sur trois modèles atmosphériques distincts. Les implications de cette découverte vont au-delà de la science du climat.
La prédiction des changements climatiques est possible grâce à l’utilisation de modèles physiques correspondant aux climats passés, présents et futurs, et permettant l’extrapolation à partir de données récentes. Cependant, les modèles climatiques actuels rencontrent des défis lorsqu’il est nécessaire de représenter des processus à des échelles plus petites que la taille du modèle, générant ainsi des incertitudes dans les projections. Bien que les récents algorithmes d'apprentissage automatique présentent des avantages pour améliorer la représentation de ces processus, ils n’arrivent toujours pas à extrapoler vers des régimes climatiques pour lesquels ils n’ont pas été entraînés.
Pour dépasser ces limitations, l’équipe de chercheur·euse·s a proposé une approche innovante appelée "Machine Learning climat-invariant". Cette approche cherche à fusionner la compréhension physique des modèles climatiques avec les capacités des algorithmes d'apprentissage automatique pour améliorer leur cohérence, la pertinence des données générées ainsi qu’une généralisation de leur utilité pour appréhender une plus grande diversité des régimes climatiques. Les résultats obtenus suggèrent que cette nouvelle intégration des connaissances physiques renforcera la fiabilité des modèles climatiques
7 points pour mieux comprendre les enjeux de cette étude :
1. Comment sont utilisés les algorithmes
d'apprentissage automatique dans le domaine du climat ?
Les algorithmes d'apprentissage automatique jouent un
rôle clé dans l'amélioration des modèles climatiques en simulant des processus
complexes tels que la dynamique des tempêtes, les tourbillons océaniques et la
formation des nuages, qui sont coûteux avec des méthodes traditionnelles. Ils
sont essentiels pour la détection à distance et la classification des nuages,
et pour la réduction d'échelle des modèles climatiques globaux afin de produire
des projections locales détaillées qui s'alignent mieux sur le registre
d'observation.
2. Pourquoi les algorithmes d'apprentissage
automatique ont jusqu'alors eu du mal à prédire les effets du changement
climatique ?
Les modèles d'apprentissage automatique, en particulier les réseaux neuronaux,
excellent dans le cadre de leurs données d'apprentissage, mais peuvent se
révéler très inefficaces lorsque les données diffèrent sensiblement de ce
qu'ils ont observé auparavant. Cet écart s'explique par le fait que ces modèles
reposent sur des hypothèses implicites qui peuvent ne pas se vérifier dans des
conditions climatiques nouvelles, ce qui entraîne des inexactitudes
potentielles dans les projections en dehors de leurs schémas d'apprentissage.
3. Sur quels types de modèles atmosphériques ont porté
cette étude et quelle est leur importance ?
Les chercheur·euse·s se sont d'abord concentrés sur un modèle de « monde
océanique », une représentation simplifiée du système climatique de la
Terre sans les continents, qui leur a permis d'identifier et de comprendre les
erreurs d'extrapolation. Ils ont ensuite progressé vers des modèles
atmosphériques plus sophistiqués et plus réalistes qui simulent la dynamique du
climat de la Terre. L'intégration de l'apprentissage automatique dans ces
modèles est un projet prometteur pour améliorer leur réalisme, en particulier
pour les projections climatiques à long terme, contribuant ainsi de manière
significative aux stratégies d'adaptation au changement climatique et
d'atténuation de ses effets.
4. Qu'est-ce que cela signifie au-delà de la science
du climat ?
Au-delà de la science du climat, la méthodologie de cette étude offre un modèle
pour l'incorporation de principes physiques dans l'apprentissage automatique
dans plusieurs disciplines. En transformant les données à l'aide d'invariances
physiques connues, les chercheur·euse·s peuvent former des modèles
d'apprentissage automatique qui fonctionnent dans divers schémas physiques,
même s'ils n'ont été entraînés que pour quelques-uns d'entre eux.
Cela pourrait fonctionner dans n'importe quel domaine scientifique avec des invariances connues, par exemple, en science planétaire pour créer des modèles généralisables à toutes les planètes ou en dynamique des fluides pour créer des modèles généralisables à tous les régimes de flux.
5. Comment cela pourrait-il changer la recherche en
sciences du climat ?
La nouvelle approche de cette étude pourrait faire progresser la science du
climat en permettant une modélisation plus précise et généralisable des
processus. Par exemple, les modèles d'apprentissage automatique qui ont été
formés sur les données climatiques actuelles pourraient, moyennant des
ajustements physiques appropriés, offrir des projections fiables pour les
climats futurs. Cette avancée en matière de généralisation pourrait faire
progresser les prévisions météorologiques et les projections climatiques à long
terme.
6. Quelles sont les prochaines phases de cette recherche ? Les équipes qui ont participé à cette collaboration explorent diverses voies, notamment l'amélioration de la généralisation des modèles de prévisions météorologiques de pointe basés sur des données pour les climats futurs et l'intégration de ces modules robustes et invariants du climat dans les modèles climatiques existants. L’objectif des chercheur·euse·s est de continuer à développer ces modèles basés sur des données au-delà de leurs limites actuelles, en encourageant une culture de tests rigoureux qui pourrait mettre au point de nouveaux principes physiques dépassant les capacités d'observation actuelles.
7. Quel est l'impact à long terme de ces résultats et
le potentiel de l'IA dans la science du climat ?
Les auteur·ice·s de cette étude estiment que ces résultats vont favoriser des
collaborations plus soutenues entre les communautés de la science du climat et
de l'intelligence artificielle. En encourageant la communauté des sciences du
climat à considérer les modèles basés sur les données non pas comme un
remplacement mais comme un renforcement des méthodologies traditionnelles, et
en promouvant le développement de techniques d'intelligence artificielle qui ne
sont pas seulement basées sur les données mais aussi sensibles au domaines de
recherche, ils prévoient un avenir où l'intelligence artificielle contribuera
de manière significative à faire progresser la compréhension des processus
climatiques, améliorant ainsi la capacité collective à répondre aux défis posés
par le changement climatique.
Cet article est un communiqué de presse qui a été partagé le 8 février 2024 avec les médias :
Article complet : “Climate-Invariant Machine Learning”
Version en ligne : https://www.science.org/doi/full/10.1126/sciadv.adj7250
Version PDF (plus complète) : 2112.08440.pdf (arxiv.org)
Au sujet de l’expert :
Tom Beucler est professeur assistant à l'Université de Lausanne et auteur principal de l'équipe de recherche. Il s'intéresse à la physique atmosphérique, au deep learning, à l'informatique climatique et à la dynamique des fluides environnementaux. Il combine les statistiques, la théorie, les simulations numériques et les analyses observationnelles pour améliorer la compréhension de la météorologie et du climat, et guider le développement de modèles opérationnels de tempêtes et de nuages.
Liste complète des auteur·ice·s :
Tom Beucler, Faculty of Geosciences and Environment, University of Lausanne, Lausanne, VD 1015, Switzerland and Department of Earth System Science, University of California, Irvine, CA 92697, USA
Pierre Gentine, Department of Earth and Environmental Engineering,
Columbia University, New York, NY 10027, USA
Janni Yuval, Department of Earth, Atmospheric, and Planetary Sciences, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, MA 02139, USA
Ankitesh Gupta, Department of Earth System Science, University of California, Irvine, CA 92697, USA
Liran Peng, Department of Earth System Science, University of California, Irvine, CA 92697, USA
Jerry Lin, Department of Earth System Science, University of California, Irvine, CA 92697, USA
Sungduk Yu, Department of Earth System Science, University of California, Irvine, CA 92697, USA
Stephan Rasp, Google Research, Mountain View, CA 94043, USA
Fiaz Ahmed, Department of Atmospheric and Oceanic Sciences, University of California, Los Angeles, Los Angeles, CA 90095, USA
Paul A. O’Gorman, Department of Earth, Atmospheric, and Planetary Sciences, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, MA 02139, USA
J. David Neelin, Department of Atmospheric and Oceanic Sciences, University of California, Los Angeles, Los Angeles, CA 90095, USA
Nicholas J. Lutsko, Scripps Institution of Oceanography, University of California, San Diego, La Jolla, CA 92037, USA
Michael Pritchard, Department of Earth System Science, University of California, Irvine, CA 92697, USA and NVIDIA, Santa Clara, CA 95050, USA
Au sujet de CLIMACT :
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